Sauvage ou élevage

Sauvage ou élevage

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Dans notre n°153 qui sort sous peu, nous vous parlons du cardinalis (Paracheirodon axelrodi). Nous n’allons pas redire ici ce que vous trouverez dans notre magazine très bientôt. Il n’empêche, à l’heure où l’aquariophilie est menacée, il est bon de rappeler le statut particulier de ce petit poisson d’ornement vendu chaque année en millions d’exemplaires.

(Photo : Axel Senaffe)
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On se rafraîchit la mémoire

Le genre Paracheirodon comprend 3 espèces de tétras néons. Commençons donc par le dernier arrivé, le « néon vert » (Paracheirodon simulans). C’est celui qui a été découvert le plus récemment, si l’on peut dire, en 1963. Et c’est aussi celui qui a bénéficié d’un succès très tardif. En effet, c’est surtout grâce à l’aquascaping qu’enfin il a été relativement popularisé. Il est encore massivement collecté en milieu naturel. D’ailleurs, c’est d’abord dans des envois de cardinalis depuis l’Amérique du Sud (région du rio Negro, en Amazonie) que cette espèce a été repérée. On voit ici ou là des reproductions signalées. Cependant, il semblerait qu’encore aujourd’hui, il s’agisse plus de hasard et peu ou aucune pisciculture d’élevage produit du néon vert à grande échelle.

Le premier du genre à avoir eu un succès populaire (et avoir été découvert – par le Français Rabault, dans les années 1930), jamais démenti depuis, est le néon bleu (Paracheirodon innesi). Voilà très longtemps qu’il est reproduit à grande échelle. À tel point que la plupart des spécimens (si ce n’est tous) arrivent aujourd’hui de l’Europe de l’Est et surtout de l’Asie orientale.

Enfin, il y a l’espèce que tout le monde veut (ou presque), tant sa robe supplante celle des autres membres du genre Paracheirodon. Il s’agit bien sûr du cardinalis. Sa reproduction est maîtrisée et de nombreux amateurs ont déjà pu le multiplier avec succès. Toutefois, son élevage est plus compliqué que pour l’espèce précédente et exige une installation plus complexe. Voilà pourquoi de nombreuses piscicultures ont préféré faire l’impasse sur ce poisson, car sa production reste bien moins rentable que la capture en milieu naturel.

Un prélèvement exemplaire

Insistons sur un point : contrairement à ce que l’on lit parfois, des cardinalis d’élevage arrivent également. Soit d’Amérique du Sud (mais il s’agit alors souvent d’alevins ou juvéniles prélevés en milieu naturel, puis élevés et acclimatés en pisciculture tropicale, sur place), soit carrément d’Asie où la reproduction est totalement maîtrisée, avec donc des géniteurs qui vont être mis à pondre, puis les alevins élevés dans des locaux où la lumière est occultée durant les premières semaines. Cependant, même si l’on voit plus de fermes aquacoles pratiquer cet élevage (notamment dans le sud de la Chine), elles ne suffisent pas à alimenter la demande mondiale. D’où le prélèvement en milieu naturel.

Actuellement, c’est surtout en Colombie et au Brésil (peu au Venezuela, même si l’espèce est aussi présente) que proviennent nos cardis d’aquarium. Le temps où la pêche se pratiquait de manière insouciante, pour ne dire irresponsable, est révolue depuis déjà au moins une vingtaine d’années. Car depuis, les immenses fermes de soja ou de palmiers à huile n’ont cessé de gagner du terrain sur les rives des systèmes hydrographiques sud-américains. À tel point que certains biotopes ont été entièrement saccagés ou commencent à l’être dangereusement. Pour nous, aquariophiles, c’est un véritable crève-cœur. Car le détournement des rivières ou autres cours d’eau pour alimenter cette production agricole impacte directement sur le cycle de vie de nos poissons (et même de ceux qui n’arrivent jamais – ou presque – jusqu’à nos aquariums). Leur temps est donc compté.

En revanche, que voyons-nous par exemple dans certaines zones (pas toutes, il faut l’admettre) de pêche du cardinalis ? Étonnamment, les populations qui vivent de ces prélèvements continuent à exercer cette activité (car elle est encore rentable) et surtout à protéger les milieux aquatiques qu’ils exploitent. C’est finalement simple : ils font en sorte que leur gagne-pain puisse perdurer. Et l’on voit que ces initiatives font tache d’huile et que de plus en plus de personnes vivant de la récolte du cardi adoptent un mode de prélèvement responsable. Il s’agit bien sûr de « ne pas tuer la poule aux œufs d’or ». Pour cela, on va prélever régulièrement, mais en petit nombre. On va aussi empêcher la pollution (ou l’exploitation) des milieux aquatiques qui mettrait en danger la reproduction naturelle de ce poisson. Afin bien sûr que, chaque année, il y ait autant de cardinalis (ou même plus !) à expédier. Ainsi, indirectement, c’est tout l’écosystème local qui bénéficie de cette protection. Plutôt costaud, non ?

Un futur incertain

Cependant, on voit aujourd’hui sous nos contrées un nombre croissant d’opposants à cette importation du cardi sauvage en provenance d’Amérique du Sud. Pour certains, prélever ces poissons en milieu naturel est criminel et impacte les écosystèmes. Mais comme on vient de le voir, ce n’est pas si vrai, loin de là. Comme d’habitude, c’est une question d’équilibre. Et il serait bien justement de voir apparaître un peu plus de labels éco-responsables pour l’élevage in situ ou le prélèvement des poissons tropicaux (certains existent, mais ils sont encore trop peu connus). Cela permettra d’exploiter les écosystèmes sans trop les impacter, et en les protégeant. Car c’est bien connu, quand c’est rentable, on a tendance à être plus vigilant. Cela permettrait de garantir également des revenus aux populations locales.

Ces labels existent, et ne demandent qu’à être favorisés. On a vu aussi récemment les récolteurs de poissons tropicaux marins à Hawaii (USA) remporter une victoire en démontrant devant la Cour de l’état que leur activité était non seulement respectueuse de l’environnement, mais permettait aussi de sensibiliser la population locale quant aux trésors aquatiques que cet archipel abrite.

On ne peut donc qu’espérer qu’un jour prochain, certains se penchent un peu plus sérieusement sur l’aquariophilie et ses bienfaits, même sur le milieu naturel, plutôt que de nous accuser de tous les maux. Car non seulement notre hobby est en danger, mais les biotopes de nos poissons aussi. Car une fois interdit à la vente en Europe, qui donc pensera ensuite au sort réservé au cardi dans ses biotopes, où sa valeur économique aura alors baissé ? Car c’est bien connu : loin des yeux, loin du cœur.

Même si vous n’êtes qu’aquariophile amateur, vous pouvez aider notre passion d’une manière ou d’une autre, par exemple en adhérant à la Fédération Française d'Aquariophilie – la FFA – qui se bat en permanence pour notre hobby, notamment auprès des autorités concernées (dont le Ministère de l’agriculture).

Philippe Chevoleau

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